L’icône de la Nativité

L’association des journalistes orthodoxes ukrainiens a publié une très belle analyse de l’icône traditionnelle de la Nativité, par Polina Joukova.

Noël sans paillettes : ce que cache la grotte noire sur l’icône

Pourquoi la Vierge Marie se détourne-t-elle de l’Enfant Jésus, et pourquoi l’abîme infernal béant occupe-t-il le centre de l’icône festive ? Analyse du drame caché dans les couleurs.

Le mois de décembre sent le sapin, les mandarines et l’attente. Nous sommes habitués à considérer Noël comme la fête la plus chaleureuse de l’année. Notre imagination, nourrie de belles cartes postales, dessine une image idyllique : une étable en bois chaleureuse, de la paille dorée, des anges potelés et rougis, et une Sainte Famille heureuse qui admire tendrement l’Enfant Jésus. Cette image dégage beaucoup de lumière, de paix et de chaleur familiale. Nous aimerions être là. Nous voulons nous y réchauffer.

Mais si nous entrons dans une église orthodoxe et nous approchons de l’analogion où se trouve l’icône de la Nativité (par exemple, celle d’Andreï Roublev ou des anciens maîtres byzantins), nous sommes surpris.

Il n’y a pas de confort ici. Il n’y a pas de maison en pain d’épice. Il se passe ici quelque chose qui nous coupe le souffle.

Au lieu de la paille moelleuse, des corniches rocheuses acérées comme des couteaux. Au lieu du foyer familial, un froid cosmique glacial. Ce n’est pas une idylle familiale, c’est un bouleversement tectonique de l’histoire. Et si nous regardons de plus près, nous verrons que l’iconographe n’a pas simplement représenté la naissance d’un enfant, mais le début d’une grande bataille.

Le trou noir de l’univers

Où notre regard se pose-t-il en premier lieu ? Au centre même. Mais là, il n’y a pas de lumière. Là, il y a une obscurité absolue et impénétrable.

Sur fond de rochers ocres, le triangle noir de la grotte béant. C’est la couleur la plus sombre qui se trouvait sur la palette du maître. Et ce n’est pas simplement l’entrée d’une grotte où l’on cache le bétail pour le protéger des intempéries. Dans la théologie de l’icône, cette noirceur porte un nom effrayant : « la gueule de l’enfer ».

L’icône nous dit très honnêtement : le monde dans lequel le Christ vient n’attendait pas sa venue à bras ouverts. Ce monde est dans le mal (1 Jn 5, 19). C’est un monde frappé par le péché et la mort. La grotte noire est l’image de toute l’humanité privée de Dieu. C’est la concentration de notre douleur, de notre désespoir, de nos guerres et de nos trahisons. Ce sont « les ténèbres extérieures » (Mt 8, 12).

Le miracle principal se produit précisément ici. La lumière n’éclaire pas cette caverne de l’extérieur, comme un projecteur. La lumière pénètre à l’intérieur. Volontairement. L’enfant Jésus est déposé directement dans cette obscurité.

Dieu ne dédaigne pas notre obscurité. Il n’exige pas que nous « nettoyions » d’abord notre vie, que nous allumions la lumière et que nous l’invitons ensuite. Il naît au plus profond de notre chute. Il se couche au centre pour briser les ténèbres de l’intérieur.

Né pour mourir

Regardez l’Enfant. Il ne ressemble pas au joyeux bambin des tableaux de la Renaissance. Il est étroitement emmailloté dans des langes blancs.

Rappelons-nous l’iconographie d’un autre événement : l’enterrement du Christ. Ces langes blancs reproduisent exactement le linceul funéraire. Et la crèche de pierre dans laquelle il repose ressemble de façon effrayante à un cercueil, un sarcophage.

Au moment le plus joyeux de l’histoire, l’Église ne nous laisse pas oublier le but de sa venue.

Il n’est pas né pour qu’on lui chante des berceuses. Il est né pour mourir.

La tache blanche du Nourrisson sur le fond noir de la grotte est le grain jeté en terre (Jn 12, 24). Ici, à Bethléem, on voit déjà l’ombre de la croix du Calvaire. L’icône ne le cache pas : le prix de notre salut sera extrêmement élevé.

Se détourner de son Fils

Un autre détail qui déconcerte souvent le spectateur contemporain. Regardez la Vierge Marie. Elle est la plus grande figure de l’icône. Elle est allongée sur un lit rouge, épuisée par l’accouchement. Mais où porte-t-elle son regard ?

Elle ne regarde pas l’Enfant. Elle ne le serre pas contre sa poitrine. Elle est souvent représentée en train de se détourner de lui.

Pourquoi ? N’y a-t-il donc pas d’amour maternel ici ? Si, il y en a. Mais c’est un amour qui transcende l’attachement.

L’iconographe nous montre Marie qui a déjà accompli son sacrifice. Elle comprend que cet enfant ne lui appartient pas. Il appartient au monde.

Elle se détourne non par indifférence, mais par humilité devant le mystère. Sa posture exprime une profonde réflexion, ce « méditant dans son cœur » (Luc 2, 19). Elle regarde le monde (souvent nous) avec une tristesse et un espoir infinis. Elle sait qu’une épée transpercera son âme (Luc 2:35). Et elle l’accepte en silence.

Le coin du doute

Maintenant, reportons notre regard vers le coin inférieur de l’icône. Un vieillard y est assis. C’est Joseph, le fiancé. Il est assis, la tête appuyée sur sa main, dans une posture de profonde tristesse et de réflexion. Il ne participe pas à la célébration des anges. Il est seul. À côté de lui, on représente souvent un personnage étrange : un vieillard voûté vêtu de peaux de chèvre, appuyé sur un bâton tordu. Qui est-ce ? Un berger ?

Les interprétations anciennes disent : c’est « l’esprit du doute », le démon qui tente Joseph. Il lui souffle ces pensées qui sont si compréhensibles pour chacun d’entre nous : « Comment une vierge peut-elle enfanter ? C’est contre les lois de la nature. C’est impossible. On t’a trompé. Les miracles n’existent pas, Joseph. Il n’y a qu’un bâton sec dans ma main et des pierres sous mes pieds. »

C’est le moment psychologique le plus poignant de l’icône. C’est le « thriller » au cœur de la fête.

Tandis que le ciel exulte, que les mages galopent avec leurs cadeaux et que les bergers écoutent les anges, un homme est assis dans un coin et tente péniblement de croire.

Nous nous reconnaissons en Joseph. Vivant dans un monde plein de douleur et d’injustice, ne sommes-nous pas souvent assis dans ce « coin du doute » ? On nous murmure aussi : « Dieu n’existe pas. Le mal a triomphé. Regarde les informations, où est ton Noël ? Ce ne sont que des contes de fées. »

L’icône ne condamne pas Joseph. Elle lui donne une place dans la composition. L’Église comprend que la foi n’est pas toujours un envol enthousiaste. Parfois, la foi, c’est simplement le courage de ne pas partir, de rester assis près de la grotte, même lorsque la raison crie « je ne crois pas ».

Le réconfort de la vérité

Pourquoi cette icône austère nous réconforte-t-elle davantage aujourd’hui qu’une carte de Noël sur papier glacé ?

Parce que le vernis ment. Si Noël n’était qu’une jolie histoire familiale, il s’effondrerait dès le premier contact avec notre réalité. La confortable étable de l’image ne résisterait pas aux bombardements. Les petits anges aux joues roses ne nous sauveraient pas de la peur de la mort.

Mais l’icône dit la vérité.

Dieu n’est pas venu dans un monde de pain d’épice. Il est venu dans un monde où il y a des rochers froids, des grottes noires, la trahison et la mort.

Il est venu dans une réalité qui sent le moisi et le sang, et non la cannelle. C’est précisément pour cela que nous avons de l’espoir.

Le Christ repose dans la grotte noire de notre douleur. Il est là. Au point le plus sombre de la vie, dans le gouffre le plus profond, où il semble n’y avoir aucune place pour la lumière, Il est déjà là. Silence… Vous entendez ? Dans cette obscurité, un cœur vivant bat. Dieu est né. Et les ténèbres ne l’ont pas englouti (Jn 1, 5).


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Une réflexion sur “L’icône de la Nativité

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